"Et ce soir, je suis bourrée de stéréotypes
Je me suis rendue compte il y a deux jours, et ça me trotte dans la tête depuis, que quand j'étais petite, j'observais les adultes et que certains me paraissaient plus......disons......"louches" que d'autres.
Je ne classifiais pas en hiérarchie bien sophistiquée la race adulte, mais il y avait les "normaux" , c'est-à-dire mes parents, leurs couples d'amis, mes grands-parents, les cousins, la famille, les anodins, les invisibles......et les "bizarres", ceux que je regardais en biais, du coin de l'oeil: les tout-seuls.
Je les trouvais vraiment étranges ceux qui arrivaient seul à un souper de couples des "grands", ces femmes seules, pourquoi n'avait-elle pas d'enfants? Pas de mari? Pourquoi était-elle l'une des plus saoules, pourquoi était-elle celle qui fait rire la table, qui fait rire les hommes? Ces deux femmes, célibataires à forte poitrine sur petites jambes de poulet top bronzé. Deux soeurs, je les trouvais tellement bizarres comme adultes avec leurs rires tonitruant, leurs voix déjà grave, leurs peaux déjà ridées, tannées d'alcool, de sexe et de cigarettes. Ces gens seuls, qui n'aiment pas les enfants car ils savent qu'ils ne pourront jamais en avoir, car ils seront toujours seuls.
Je ne m'en approchais pas, amies de mon père. Je les observais de loin, du haut de mes huit ans, et je tenais sûrement le coin de ma chemise de nuit dans une main en me disant qu'elles avaient quelque chose de différent de ces autres adultes, ceux des couples, ou les frères, les quelqu'uns de quelqu'un. Quelque chose de différent dans le fait que je ne pouvais les relier à personne. C'était des alone, des nobody et je ne trouvais pas ça normal, ça m'inquiétait de tels humains, je m'en rappelle. Je les croyais d'une autre race, et je ne comprenais pas ce que mes parents faisaient avec telle espèce. J'avais presque peur pour eux, de l'insécurité et de la précarité que me semblait être leur statut...
Je crois que je deviens ce genre d'humain.
Si la petite fille que j'étais me croisait aujourd'hui et qu'elle me regardait, ce serait du coin de l'oeil d'un air perplexe. Elle se méfierait de moi et dirait que je suis une pas-reliée."
Posté le 11 juin 2004.
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