Le billet du jour

Du blog Joumana :
"Ce samedi 5 juin 2004, aux alentours de minuit, un moustique s'engouffre dans la bouche de métro fiévreuse, station Châtelet.
Gontran est un moustique malheureux cette nuit. Il a bu, beaucoup, des whisky-sang, pour oublier.
Oublier sa vie de misère à voguer de peaux sales en peaux moites pour tenter de récolter quelques gouttes d'élixir au goût pollué.
Oublier sa femme qui possède des ailes bien trop grandes et des rêves bien trop différents.
Oublier la nuit dernière où il surpris celle-ci dans les ailes de son amant.
Leurs antennes mélangées, leurs pattes enchevêtrées, leurs odeurs de sang mêlées.
Gontran est parti, Gontran ne sait plus, Gontran vole au-dessus du quai.
Des hommes, des femmes, qui crient, qui rient, qui sentent l'alcool.
Et un groupe surtout. Deux filles brunes qui rient bouches grandes ouvertes, en se tapant sur l'épaule, qui bougent, pleines de vin, pleines de joie, pleines de légèreté. Elles n'ont rien compris.
Gontran murmure ma femme est comme elles. Des envies de liberté.
Gontran ne se supporte plus, il voulait être aventurier quand il était petit, mais il est trop peureux, il est devenu gardien de la chambre de Marcel et Geneviève, n'a jamais exploré que le plafond fissuré, et puis il trouve qu'il a du bide. Il le sait, les autres moustiquettes ne le regardent plus. Et il n'a plus envie de rien, bosser, s'occuper des enfants qui vont bientôt voler de leurs propres ailes, attirés par la lumière.
Gontran n'a plus de désir.
Gontran décide de plonger dans l'oeil d'une des filles brunes du groupe. Celle qui justement est en train d'éclater de rire.
Peut-être qu'il verra enfin ce qu'il n'a jamais vu, qu'il comprendra enfin.
Qu'il sera libre.
Gontran se propulse mais manque sa cible et s'écrase lamentablement sur la paupière de la fille brune (...)."
Posté le 17 juin 2004.