"Hier soir, j'ai appelé ma grand-mère. Cela faisait plus de deux mois que je ne l'avais pas fait et, à part une carte postale envoyée (comme d'habitude à la va-vite) de Barcelone, elle n'avait pas eu de nouvelles de moi. Je l'ai appelée pour lui en donner, donc (sans forcément aborder tous les sujets, que je ne suis pas sûr qu'elle comprendrait, et sur lesquels il est inutile de l'inquiéter), mais aussi pour lui dire, enfin, ce que je voulais lui dire depuis des années sans jamais avoir trouvé le moment pour le faire : que je l'aimais. Que j'étais heureux qu'elle soit ma grand-mère, ou plutôt ma yaya (elle est grecque). Qu'elle me manquait, et que ma vie de fou (en ce moment particulièrement) m'empêchait de venir la voir. Que j'en étais triste. Que le Tarama, les feuilles de vigne et les sablés brûlés qu'elle me préparait à chacune de mes venues me manquaient aussi.
Elle est restée silencieuse un moment, émue (je le sentais), puis m'a dit, à son tour, combien je comptais pour elle. C'était mon tour d'être ému. Normal, non, quand votre petite grand-mère de quatre-vingts ans vous dit que certaines des plus grandes joies de sa longue vie ont été de vous tenir dans les bras, de voir vos premiers pas, de vous offrir vos premiers soldats en plastique, d'apprendre que vous aviez le bac, puis tous les diplômes universitaires dans l'ordre, chacun paré d'une aura de réussite qui la rendait fière, de tenir dans ses bras vos propres enfants ?
J'aimerais bien qu'ils (mes enfants) puissent avoir elle les mêmes rapports que les miens. Qu'ils aient ces souvenirs de petits déjeuners pris dans l'odeur de la friture (à 8h du matin, déjà !), qu'ils comprennent sa grande sensibilité (bien masquée sous une forme de criaillerie pas très éloignée de celle des mères juives décrites par Woody Allen) et la respectent, qu'ils s'aperçoivent de ses tricheries au Scrabble ("Comment ça, j'ai huit lettres !? Et alors ?"), qu'ils s'amusent à lui soutirer quelques-uns des secrets de famille qui restent encore à découvrir... pour se faire aussitôt rabrouer par un "oh ! Mais tu m'embêtes avec tes questions ! Tu travailles pour la Gestapo ou quoi ?", avant d'obtenir les informations souhaitées, évidemment. Ils ont bien sûr leurs propres grands-mères, adorables, mais celle-ci est unique (...)."
Posté le 5 octobre 2003.
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