Blogue d'actualite du blogue et d'ailleurs sur le Web... Blogue mémoire en ligne depuis 2003... Précurseur en son genre, ce "blogue de liens" existe depuis la nuit des temps (en âge blogosphèrique). À sa naissance il participa aux grandes lignes de l'infernale blogosphère, puis des remous virtuels le firent tanguer sans arriver à le faire sombrer. Il se retrouva en ces eaux paisibles d'où il vogue désormais sans peine ni tracas...

30 décembre 2004

Francois Golleau, Nimes : Prenez garde a l'armee des precaires

"Autant le monde professionnel crée et tisse des liens entre "travailleurs" dans le contexte d'une reconnaissance sociale établie, autant ce "monde du silence" que constitue la privation entraîne rapidement un isolement, facteur de dépression, de sentiment d'inutilité, de perte d'identité et, en définitive, d'absence totale d'estime de soi. Tous ces freins interdisent inéluctablement de retrouver l'énergie, l'apparence, la force de se positionner dignement en postulant à un emploi.

(...)

Les recours épuisés (je me suis engagé dans la "lutte" des reclassés pour éviter le raccourcissement de la durée d'indemnisation), arrive une échéance connue : celle où les "allocations" sont supprimées. Ce qui va être mon cas début janvier. Je serai ainsi passé en l'espace de deux ans de cadre en entreprise à probablement celui de SDF.

Je n'ai pourtant pas ménagé mes efforts : recherche d'emploi active (onéreuse au demeurant, mais ceci était encore du domaine de l'acceptable me concernant), stages de "remotivation", exploitation du tissu relationnel. Mais il n'est pas exagéré d'écrire qu'un "chômeur" porte en lui les stigmates d'une honte qui l'écartent bien souvent de toute réelle opportunité.

Je précise également que, toute dignité mise à part, je ne refuse aucun travail "dégradant" ou jugé "non en rapport" avec mes compétences professionnelles. J'ai 48 ans et me sens autant de corps que d'esprit apte à apporter ma pierre à l'édifice commun.

Mon destin dans un mois, sauf événement favorable, sera définitivement scellé vers la misère, la honte et la déchéance. Ces mots ne sont pas gratuits. Mais ce destin en définitive n'a guère d'importance, sauf pour moi (dernière trace d'égoïsme) et ma famille.

Sauf s'il peut aider à faire prendre conscience et surtout faire agir ceux et celles qui, par le vote (dont bien sûr un grand nombre de chômeurs, citoyens déclassés certes, mais citoyens égaux aux autres dans l'isoloir), ont l'initiative (et non la responsabilité) de mener notre pays sur les domaines économiques et sociaux, entre autres.

Il ne faut pas sous-estimer que créer ainsi une masse croissante de pauvres, de démunis, de désillusionnés de la vie et de la société laisse peser une menace immense et incontrôlable. Les précédents dans l'histoire ne manquent pas. Bien sûr, cela pourra prendre au début une forme de refus de la citoyenneté démocratique : peu de personnes voteront et les élus n'auront aucune représentativité. Puis les élus auront une coloration politique qui sera extrémiste. Et enfin, il n'y aura plus aucune élection, ni de représentation populaire. Les armes, le chaos, la violence, les dérives fascistes, s'affirmeront. A délaisser le plus grand nombre, ce plus grand nombre, inéluctablement, prendra le pouvoir. Il reste à espérer que la révolution ainsi alimentée accouchera enfin d'une représentativité plus juste et humaine. Le pire toutefois est à craindre.

C'est pourquoi, mesdames et messieurs qui nous gouvernez, à laisser "pourrir" des citoyens comme moi, jusqu'à présent "socialisés", vous prenez le risque de détruire des décennies de progrès sociaux simplement parce que le court terme aura prévalu dans votre approche.

Préoccupez-vous fondamentalement des plus précaires. Les plus nantis s'en sortiront toujours et ils ne sont pas systématiquement blâmables (qui n'aspire pas au bien-être, au confort, à une bonne éducation, à des loisirs, à la culture... ?). Mais les plus démunis, eux, auront ou la tentation du suicide (que disent les statistiques sur les fins de vie volontaires dues au chômage ?), ou la volonté de se battre."


- François Golleau, Libération, le 15 décembre 2004.

A lire également, dans le Nouvel Observateur de cette semaine, un article sur François Golleau : Le coup de gueule d'un galérien.

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